Christo et Jeanne-Claude : couple d’artistes

Tous deux sont nés en 1935, Christo en Bulgarie, Jeanne-Claude au Maroc. Leur rencontre se produit en 1958 à Paris, après que Christo ait fui le régime communiste en 1956. Celui-ci commence sa carrière sans un sou en poche. Afin de survivre, il lave des voitures, fait la vaisselle dans les restaurants, et peint. La peinture, c’est d’ailleurs le meilleur moyen de récolter beaucoup d’argent, beaucoup plus vite, en mettant à profit ses trois années d’études à l’Académie des Beaux-Arts de Sofia. Il peignait des portraits à l’huile qu’il signait de son nom, Javacheff. En 1958, on lui commande le portrait de la mère de Jeanne-Claude. Il rencontre alors sa future épouse et partenaire artistique. 

Dans les années 1960, ils ont d’abord été proches des Nouveaux Réalistes. 

Le couple dissimule l’évidence pour mieux la donner à voir, dans un geste d’une grande poésie, comme dans l’oeuvre The Gates à Central Park à New York.  L’installation fut une véritable expérience esthétique ! Il en résulta un spectacle impressionnant du fait des tissus flottants qui – parfois vibrants, parfois agités par le vent – se voyaient de loin.

Comment se sont-ils inspirés mutuellement ?

Christo et Jeanne-Claude ont trouvé une source inépuisable d’inspiration l’un dans l’autre. Leurs discussions constantes, leur passion commune pour l’art et leur désir commun de repousser les limites ont alimenté leur créativité. Jeanne-Claude était souvent décrite comme la personne qui « mettait le feu » à l’imagination de Christo, stimulant ses idées et le poussant à explorer de nouvelles perspectives.

Rapidement, l’échelle de leurs projets se monumentalise. Il ne s’agit plus d’empaqueter des objets, mais des monuments, des sites, des paysages.

Le style Christo & Jeanne-Claude se reconnaît par un travail que l’on peut qualifier de « Gigantesque » et par l’invasion de l’espace public. Obsédé par l’empaquetage, tout leur travail repose sur le principe d’emballer des bâtiments emblématiques,  des parcs, des paysages grâce à des bâches immenses et des câbles faisant parfois plusieurs kilomètres de long.

Ces installations gigantesques, mettant souvent plusieurs années à être mises en place, ne durent en moyenne pas plus de deux semaines avant d’être démontées. Certains décrivent leur art comme du Land Art en raison du caractère extérieur de toutes leurs œuvres, mais également de leur aspect éphémère.

Comment se répartissaient-ils les rôles ?

Personnalités complémentaires, Christo et Jeanne-Claude forment un véritable binôme.  Dans leur collaboration, Christo, homme à lunettes à la silhouette élancée, aux cheveux mi-longs devenus blancs, était principalement responsable de la conception artistique, il dessine. Jeanne-Claude, une rousse flamboyante, assumait souvent le rôle de gestionnaire de projet. Elle était l’organisatrice, la négociatrice et la personne en charge de concrétiser les idées souvent démesurées de Christo dans le monde réel.  C’est aussi elle qui porte en public la parole de l’artiste. 

Motivation commune :

La motivation profonde derrière leur travail résidait dans la volonté de transformer l’espace public de manière spectaculaire. Ils aspiraient à créer des expériences artistiques éphémères qui susciteraient la réflexion et changeraient la perception des lieux qu’ils investissaient.

Ces empaquetages monumentaux débutent dès les années 1960 et se poursuivent dans les années 1980 et 1990 : 2,5 kilomètres de falaises près de Sidney en 1969, le Pont-Neuf à Paris en 1985, le Reichstag de Berlin en 1995… Des lieux porteurs d’une histoire ou d’enjeux politiques. La logistique nécessaire à de tels projets est impressionnante, et doit être appuyée par une volonté politique. En soustrayant momentanément au regard monuments et bâtiments, paradoxalement Christo et Jeanne-Claude amplifient leur existence et en font des emblèmes de la liberté d’expression.

Leur art se veut populaire, démocratique et expérimentable par tous. Le geste est d’autant plus fort que ces œuvres ne sont pas commercialisables. 

Ce que je trouve incroyable, c’est que les deux artistes ont toujours financé eux-mêmes leurs projets monumentaux, et paradoxalement éphémères, en vendant les dessins préparatoires réalisés par Christo.  Il fallait à peu près une dizaine d’années à chacun des projets du couple pour voir le jour.  D’ailleurs, beaucoup de ces projets n’ont jamais vu le jour.

Quelle est leur œuvre d’art la plus connue ?

Christo et Jeanne-Claude travaillaient exclusivement en tandem, ne concevant et réalisant que des projets communs.

Je vous ai déjà parlé de leur œuvre la plus célèbre qui reste probablement « The Gates » à Central Park, cette installation composée de milliers de portiques orange illuminés.

De mon côté, j’ai découvert l’oeuvre de Christo et Jeanne-Claude avec Le Pont-Neuf empaqueté, Paris (1975-1985).

Le travail sur l’empaquetage du Pont-Neuf a donc débuté en 1975. Christo montre ici son attachement à cette ville qui l’a accueilli, et où il rencontra Jeanne-Claude. Ce fut une prouesse, tant sur le plan technique qu’administratif. Bien qu’elle fut discutée, l’œuvre devint rapidement le centre d’une large attention médiatique. En 1985, le Pont-Neuf fut enveloppé d’une toile reprenant la couleur de la pierre, légèrement jaune, retenue par des cordes et des chaînes d’acier. Cette intervention permis aux parisiens de porter un nouveau regard sur l’un des ponts les plus emblématiques de Paris.

Quels moments difficiles ont-ils dû affronter ? Quelle est leur plus grande fierté professionnelle ? 

Leur parcours n’a pas été sans embûches. Les défis bureaucratiques, les oppositions politiques et les coûts financiers élevés ont souvent jalonné leur route. Cependant, leur plus grande fierté était de voir leurs projets prendre vie malgré ces obstacles, offrant au monde des œuvres d’art éphémères mais inoubliables.

Les œuvres de Christo ont en effet souvent fait débat et rencontré autant de contestataires que de soutiens. Pour le Pont neuf dont je viens de parler, il a fallu ainsi plus de dix ans au couple afin de collecter les autorisations pour monter le projet. Grâce au soutien de Claude Pompidou qui réussit à convaincre Jack Lang alors Ministre de la culture et Jacques Chirac, alors Maire de la ville de Paris, Christo et  Jeanne Claude finissent par surmonter la montagne administrative qu’ils tentaient de grimper depuis 1975. Et aux réticences politiques s’ajoutaient celles des parisiens, dont certains ne voyaient pas le projet comme une œuvre d’art. Finalement, le projet éphémère fut un véritable succès dès son ouverture et attira notamment une population jeune emballée par les créations de Christo. Plus de trois de millions de visiteurs se succédèrent en deux semaines pour aller voir le bâtiment, qui attira également nombre de journalistes venus couvrir l’événement.  Ce projet, que Christo déclare comme son « plus urbain » va en réalité être suivi en 1995 par celui de l’emballage du Reichstag à Berlin qui à l’époque rencontraient énormément de contestations politiques et avait été arrêté. Helmut Kohl, alors chancelier, voyait le projet comme manquant de respect aux bâtiments historiques. C’est peut-être le succès parisien qui a convaincu nos voisins germaniques. L’empaquetage du Reichstag a été également une vraie réussite populaire puisqu’il a attiré plus de cinq millions de visiteurs !

Engagement politique ?

Bien que l’on puisse donner une dimension politique ou sociétale à l’œuvre de Christo et Jeanne-Claude, ces derniers ont toujours affirmé travailler uniquement pour l’art, dans une quête universelle de beauté.

Je voudrais revenir sur Le Reichstag empaqueté, Berlin, 1971 – 1995.

En empaquetant le siège du Parlement allemand, Christo et Jeanne-Claude réactivent la mémoire du mur de Berlin, tombé en 1989. Le dos du bâtiment se trouve en effet tout près du mur qui symbolisait la division du pays. Dès les années 70, Christo avait organisé des actions d’opposition politiques. La chute du mur signifiait symboliquement la fin d’une Europe divisée par le rideau de fer. Tout aussi symbolique est l’action des deux artistes sur le bâtiment, incendié par les nazis en 1933 puis reconstruit. Par ce geste qui transfigure la mémoire d’un lieu, d’un paysage, d’une vue urbaine, Christo et Jeanne-Claude offrent un nouveau point de vue sur l’histoire. Cette intervention fut très polémique. Lorsque le Reichstag a été entièrement recouvert de tissu en 1995, il était impossible de voir les petites sculptures, les colonnes, les arcades, les moulures et les détails. Il ne restait plus que la forme architecturale épurée d’un monument imposant – son essence même. L’empaquetage modifie aussi le rapport que l’on a à la chose emballée et nous permet d’ouvrir les yeux sur ce qui se trouve d’habitude juste sous nos yeux. Il permet un regard nouveau sur les choses. Christo et Jeanne-Claude ont plusieurs fois répété que leurs œuvres n’avaient cependant qu’un unique but : apporter beauté et joie.

Leur rapport  à l’environnement ?

En aucun cas Christo et Jeanne-Claude assimilaient leurs créations à du Land Art ou de L’Art Conceptuel. Ils se décrivaient plutôt comme des architectes environnementaux. D’une part, car ils sont probablement les artistes les plus propres au monde, retirant la totalité de leurs oeuvres une fois leur courte période d’exposition passée et restaurant le site à son état originel. D’autre part, la plupart des matériaux utilisés étaient recyclés, comme la toile, médium principal de leurs immenses installations. Pour Surrounded Islands, le site n’a heureusement pas été restauré dans son état d’origine, puisqu’avant le projet, 40 tonnes de déchets ont été retirées des îles et n’ont pas été remises en place par la suite. 

Équilibre vie professionnelle et vie personnelle :

Selon mes recherches, il semblerait que Christo et Jeanne-Claude aient réussi à équilibrer harmonieusement leur vie personnelle et professionnelle. Ils travaillaient main dans la main, partageant chaque étape du processus créatif. L’art était non seulement leur passion commune mais aussi le ciment qui renforçait leur relation.   Le secret de leur réussite résidait dans la communication constante et dans le respect mutuel de leurs rôles.

Ils ont eu un fils Cyril, en 1960, très rapidement après leur rencontre.

Anecdotes

J’aimerais terminer cet épisode sur non pas une, ni deux, mais sur trois anecdotes  !

En parlant de connexion unique, il est amusant de noter que Christo et Jeanne-Claude sont nés le même jour, le 13 juin. Une coïncidence fascinante qui semblait annoncer d’emblée une collaboration artistique extraordinaire.

La deuxième anecdote est le Mastaba, Londres, 2018. Dans cette installation éphémère, Christo devenu veuf en 2009  évoque la forme des édifices funéraires de l’Égypte ancienne. Mais la polychromie audacieuse (rose, rouge, bleu), évoque l’amour, Christo s’adresse à sa femme disparue. L’artiste nous invite à porter un regard contemporain et poétique sur des thèmes ancestraux, celui de l’amour et de la mort. 

Et enfin 2021  : Malgré le décès de Christo survenu en juin 2020, l’artiste aura réussi à concrétiser l’un de ses plus chers rêves : emballer l’arc de Triomphe ! Le projet de 14 millions d’euros a été financé par la vente aux enchères de dessins et œuvres de Christo et Jeanne-Claude.

La photo de la vignette a été prise par ma marraine Elisabeth. Merci à elle !

C’est tout pour cet épisode spécial sur le travail en couple de Christo et Jeanne-Claude. Rejoignez-nous bientôt pour explorer d’autres facettes de l’art contemporain et des artistes qui ont laissé une empreinte indélébile sur le monde de l’art. Merci de m’avoir écoutée ou lue !

Photos des oeuvres : 

https://christojeanneclaude.net/artworks/arc-de-triomphe-wrapped/

https://christojeanneclaude.net/artworks/the-london-mastaba/

https://christojeanneclaude.net/artworks/the-gates/

https://christojeanneclaude.net/artworks/the-pont-neuf-wrapped/  

https://christojeanneclaude.net/artworks/wrapped-coast/