Anne et Patrick Poirier forme un couple d’artistes dont la collaboration exceptionnelle a façonné le paysage artistique des années 1960 jusqu’à nos jours.

Anne est née en 1941 à Marseille et Patrick Poirier en 1942 à Nantes. Enfants de la guerre, tous deux vivant proche de la mer, ils révèlent la fragilité des civilisations, des cultures, de la nature.

Anne et Patrick Poirier sont de véritables voyageurs de la mémoire, qu’ils considèrent comme la base de toute intelligence entre les êtres et les sociétés. Ils explorent des sites et des vestiges provenant des anciennes civilisations grecques, romaines, mayas ou indiennes et les font notamment revivre à travers des maquettes et des reconstitutions à échelles réduites.

Leur rencontre :

Anne et Patrick se sont rencontrés au Musée du Louvre devant le célèbre tableau de Nicolas Poussin, le fameux Et in Arcadia Ego. Figurent dans cette œuvre Trois bergers et un personnage féminin qui lisent une inscription gravée sur un tombeau antique dont l’interprétation la plus partagée est :  “moi aussi, la mort je suis en Arcadie.”

L’émergence de leur collaboration

Dans les années 1960, Anne et Patrick Poirier ont commencé à explorer conjointement les liens entre l’art, l’architecture et la poésie. Cette décennie a vu naître leur fascination pour les vestiges historiques, une passion qui a jeté les bases de leur future œuvre commune. 

Après leurs études à l’École nationale supérieure des arts décoratifs à Paris, Anne et Patrick Poirier ont passé quatre ans à la Villa Médicis à Rome. C’est dès le début de leur séjour, en 1968, qu’ils décident de travailler ensemble. Réunissant leurs idées et leurs sensibilités, leurs travaux signés en commun deviennent les fruits de ce partage. Ce ne sont plus des artistes solitaires travaillant dans leur atelier en quête d’un langage personnel, mais des voyageurs, arpenteurs de sites, découvreurs de civilisations, de religions et de cultures différentes (Proche, Moyen et Extrême – Orient, Amérique Centrale, Etats-Unis…). 

Inspiration mutuelle et premières expériences :

Anne et Patrick se sont inspirés mutuellement dès le début de leur collaboration. Anne, fascinée par la dimension poétique de l’art, a souvent raconté comment les créations architecturales de Patrick stimulaient son imagination. L’un des premiers exemples concrets de leur collaboration fut la série « Les Cadrans Solaires », où l’association du temps, de la lumière et de la forme symbolisait leur vision partagée du monde. 

Dès leurs premières œuvres, leur volonté de sonder les éléments figés du passé les menait à exprimer l’expérience de la perte. Ils ont refusé d’être désignés comme « sculpteurs » et « peintres », pour endosser tour à tour les rôles d’« archéologues et d’architectes ». D’ailleurs, à la fin de cet épisode, je vous partagerai une anecdote à ce sujet…

Les années 1970 : un dialogue entre les époques

Au cours des années 1970, Anne et Patrick Poirier ont affiné leur approche artistique, mêlant le contemporain à l’héritage historique. Cette période a vu l’émergence de leur célèbre série « Les Labyrinthes », où des structures labyrinthiques évoquent à la fois l’ancien et le moderne.

Dans une interview de André-Louis Paré  en 1998,  Anne raconte :  “Chacun, selon ses préférences, exécute soit des moulages, soit des photos, des maquettes ou des dessins. Par la suite, peu importe qui a fait quoi. Nous rassemblons ces divers éléments pour en constituer une œuvre. Même chose quand nous parcourons des sites. Chacun observe de son côté, s’imprègne du lieu, et ce n’est que plus tard que nous rassemblons nos idées et que nous en parlons.” 

Les années 1980 : diversification créative et reconnaissance internationale

Dans les années 1980, Anne et Patrick Poirier ont élargi leur champ d’exploration créative. Anne et Patrick Poirier ont participé à la Biennale de Venise (1976, 1980 et 1984).

En 1984, ils réalisent une commande publique pour l’aire de Suchères sur l’autoroute Clermont-Ferrand – Saint-Etienne, « La Grande Colonne Noire ». 

Cette colonne monumentale effondrée au sol (100 M de long sur 15 mètres de haut) est en fait un anti-monument, une immense Vanité, qui dénonce la dérision des pouvoirs et la fragilité des empires. Suivront de nombreux autres anti-monuments dispersés à travers le monde, sous la forme d’orgueilleux monuments réduits à l’état de ruines. Patrick dit à André-Louis ParéD’ailleurs, si la fragilité nous intéresse, c’est parce que nous sentons cette fragilité. Les duos sont fragiles, mais la création cimente cette fragilité. C’est pourquoi, il faut toujours être attentif à la personnalité et à la sensibilité de l’autre. À deux, il est nécessaire de parler, de discuter. “

Une difficulté et équilibre vie personnelle et professionnelle

J’ai donc appris que Anne et  Patrick ont dû affronter ensemble un drame personnel, le décès de leur unique fils, Alain-Guillaume, âgé d’une trentaine d’année. Né pendant leur séjour à la Villa Médicis, il voyagea toute son enfance avec ses parents sur des sites archéologiques, en Italie et ailleurs.

Deux ans après, en 2004,  Anne et Patrick Poirier décident de se retirer en Provence dans leur maison familiale et d’y installer leur laboratoire de création. Loin des projecteurs, ils ont cultivé des moments de vie quotidienne, partageant des déjeuners paisibles dans leur maison à Lourmarin, loin du tumulte artistique. 

Anne confie d’ailleurs à André-Louis Paré “Pour nous, le travail est complètement dépendant de la vie. C’est pourquoi on peut dire qu’il y a une sorte de fusion entre Patrick et moi. Nous nous quittons parfois, mais par ailleurs nous formons un couple complet.”

Projets séparés et voyages

Ils signent ensemble – jamais elle sans lui, jamais lui sans elle – des maquettes géantes de cités imaginaires en ruines ou de bibliothèques du savoir universel, des utopies et des folies architecturales, des métaphores de la mémoire, des moulages en papier d’architectures ou de sculptures antiques, des  » Vanités  » en pétales de fleurs tatoués, des jardins maniéristes contemporains. Comme dans leur travail où ils ne distinguent pas eux-mêmes la part de l’un de la part de l’autre – et peu leur en chaut, ils se disent complètement interchangeables – leur conversation tient d’un jeu de ping pong où ils se partagent les phrases, se relancent l’un l’autre, se complètent ou cherchent leurs mots ensemble dans une symbiose étonnante et féconde.

Toujours dans l’interview d’André-Louis Paré  en 1998,  Anne raconte : “ Ce ne fut pas une rencontre, mais des retrouvailles. Platon ne dit-il pas justement que, dans l’amour, deux personnes se retrouvent et se reconquièrent ? Ce fut le cas pour nous, dans la mesure où nous avons presque un côté frère et sœur. En plus de nous ressembler physiquement, nous avons vécu séparément quantité d’événements similaires. Personnellement, j’ai eu l’impression de reconnaître un ami de jeu d’enfance. D’ailleurs, il y a une grande part de jeu dans notre travail. Comme deux enfants qui jouent ensemble et se construisent un univers à eux.

Quand on interroge Anne : “Peut-on imaginer une Anne et un Patrick Poirier faisant œuvre à part ?” Nous n’avons rien abandonné pour travailler ensemble. Il n’y a eu aucun renoncement. Nous avons surtout construit et ajouté à partir de ce que l’on avait en puissance en chacun de nous. Par exemple, même si je ne me considère pas sculpteur, je m’intéressais à l’époque à la question du volume, à celle de l’espace et tout ce qui s’y rapproche. Patrick, lui, était plus près du monde de la peinture. Il s’intéressait à l’image à deux dimensions, à la photographie, et même au cinéma. Il avait donc une vision complémentaire de la mienne. Encore aujourd’hui, même si cela s’articule différemment, je demeure très intéressée par l’espace et lui par l’image bidimensionnelle. 

PATRICK partage lui aussi son ressenti  : Quand on est seul, il me semble que tout est prévisible, alors qu’à deux il est plus difficile de prévoir. L’expérience qui se développe à deux ne se déroule pas du tout comme il était prévu au départ. C’est normal, c’est comme un jeu de ping-pong. 

Les années 2000 à aujourd’hui : héritage et transmission

À partir des années 2000, Anne et Patrick Poirier ont commencé à réfléchir à leur héritage artistique. Ils ont transmis leur savoir à travers des ateliers et ont continué à repousser les limites de l’art contemporain. Une anecdote touchante est celle où ils ont décidé de planter un olivier près de leur atelier, symbolisant la pérennité de leur créativité. A Chaumont sur Loire, pour la saison 2010, Anne et Patrick Poirier proposaient huit installations poétiques liant étroitement la nature et la mémoire. Utilisant des matières et des supports très variés comme le marbre et le granit, la lumière et le son, ils investissaient aussi bien les Écuries que le Château et le Parc du Domaine. En 2020, lors de ma visite avec Antoine, nous avons vu quelques oeuvres que Chaumont a gardé, et notamment l’oeil qui vous pouvez voir sur la vignette de cet épisode… Récemment, on pouvait aussi voir leurs oeuvres au Musée d’art moderne de Saint-Étienne en 2016, à la Maison Européenne de la photographie en 2017, à la Villa Médicis en 2019, au Château La Coste et à l’Abbaye du Thoronet en 2021 ou encore au MRAC de Sérignan en 2022.

Une anecdote d’Anne Poirier

Elle confiait à France Culture : « À l’époque, on avait des passeports où on devait mettre nos professions. Patrick avait mis archéologue, et moi architecte. Ça nous a ouvert quantité de portes de sites qui étaient complètement fermés au public et dans lesquels on a pu pénétrer en prétextant une thèse inexistante. »

Anne et Patrick Poirier forment l’un des tout premiers et rares couples d’artistes. Fidèles à la symbiose qui sous-tend leur création depuis plus de cinquante ans, ils développent un œuvre protéiforme et visionnaire.

Cécile TAUVEL Maison Lacmé - crédit photo Arnaud Tinel

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Tags : Art, couple

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Ainsi se termine aussi cette mini-série sur les couples d’artistes. Mes nombreuses lectures m’ont aussi fait connaître d’autres couples d’artistes comme :

Cozic, Martha Fleming & Lyne Lapointe, Gilbert & George, Ilya & Emilia Kabakov, Florence Wyle et Frances Loring, Bernd et Hilla Becher, Jasper Johns et Robert Rauschenberg, Diego Rivera et Frida Kahlo, ainsi que Jackson Pollock et Lee Krasner. 

A travers les 5 épisodes de cette mini-série, j’ai pu observer que parmi ces artistes, tout en habitant et travaillant à proximité, il y a deux catégories. Il y a ceux qui continuent d’affirmer leur personnalité propre et d’oeuvrer à leur production individuelle. Il s’agit donc moins de duos d’artistes que d’artistes vivant en couple. La deuxième catégorie avec les «couples en duo en art» envisage une «autre» façon d’envisager le travail de création comme nous l’avons vu avec Christo et Jeanne Claude ou Anne et Patrick Poirier qui font oeuvre commune.

J’espère que cet épisode ou cet article vous a plu, si vous n’avez pas écouté les 4 autres épisodes, je vous invite à les écouter pour découvrir d’autres couples d’artistes.

Ressources : 

https://mitterrand.com/artists/18-anne-et-patrick-poirier/

https://mamc.saint-etienne.fr/fr/expositions/anne-et-patrick-poirier

https://domaine-chaumont.fr/fr/centre-d-arts-et-de-nature/saison-d-art-2024/anne-et-patrick-poirier

https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/11/23/selection-galerie-anne-et-patrick-poirier-chez-mitterrand_6410214_3246.html

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